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7 mars 2005

Cherche solution pour guérir

Ce matin, quand je me suis réveillée, j'ai senti quelque chose au ventre. Je ne saurais pas dire ce que c'était. Je me suis levée, habillée, et je n'y ai plus pensé. J'ai aussi déjeûné, sans problème. Je suis partie à huit heures moins dix, j'imagine. Comme d'habitude. C'est au moment où j'ai suspendu ma veste au portemanteau, que la même sensation m'a reprise. Mais cette fois-ci, elle ressemblait plus à de la douleur. Je l'ai ignorée, sans difficulté, et j'ai travaillé jusqu'à midi sans me poser de questions. À la cafétéria, la douleur est devenue un peu plus forte. Juste un peu, mais quand-même… J'ai grimacé. Sofia, qui était en face de moi, m'a demandé ce que j'avais, et, étonamment, elle s'est préoccupée de ma santé. Elle m'a même conseillé de ne pas travailler l'après-midi. J'ai d'abord trouvé ça ridicule, mais, après réflexion, l'idée ne me semblait pas stupide. Cette douleur excitait ma curiosité. Le secrétariat m'a autorisée à rentrer. Une fois chez moi, j'ai décidé de faire quelque chose d'utile. J'ai passé l'aspirateur, j'ai appelé mon médecin et j'ai pris rendez-vous pour demain. J'imagine que ça aura passé, mais mieux vaut être prudente. Après le téléphone, ma journée de travail terminée, je me suis assise dans un fauteuil et j'ai regardé la télévision. - Ce matin, j'ai été chez le médecin. Il était affreusement stressé. Il m'a examinée, très rapidement, et m'a envoyée chez le Dr Orth, un spécialiste (je ne sais plus le terme exact). Il a une tête de singe, il grimaçait en plus, et il courait partout. Lui aussi devait être stressé. Son cabinet était plein de paperasses, disposées en tas plus ou moins stables. Il m'a fait attendre une bonne demie-heure, puis il m'a examinée. Il m'a encore fait une prise de sang et un autre texte que je ne connaissais pas. Je lui ai demandé ce que c'était, mais il a répondu quelque chose d'inaudible, qu'il a ponctué d'une grimace, puis il a griffoné quelque chose sur un dossier. Il m'a fixé rendez-vous pour demain, prescrit un somnifère léger. Il m'a conseillé de prendre une ou deux aspirines, pour faire passer la douleur. Il ne m'a pas du tout dit ce que j'ai, et je suis assez angoissée. Mais dans un sens, si deux aspirines suffisent, ça ne doit pas être grave. - L'oncologue (voici le terme exact) m'a dit que j'ai une maladie incurable. Je crois qu'il a parlé d'une infection, mais je ne suis pas sûre. Il n'était pas très clair; en fait il devait parler un jargon de spécialiste, j'imagine. Il a quand même été formel et audible sur un point: je n'ai plus que deux mois à vivre. Il a levé le nez de ses dossiers pour me le dire, mais sans aucun signe de compassion, si ce n'est, peut-être, une grimace. Les grimaces, sur son visage, ont l'air de servir à tout: elles remplacent les sourires, les phrases simples, les salutations… Il avait fait de l'ordre dans son cabinet: le sol était dégagé, et il ne restait que quelques traces de feuilles sur ses armoires. Le bureau, par contre, n'a pas changé. Il était encore convenablement encombré. Je vais crever: c'est la première chose que j'ai pensée, une fois arrivée chez moi. On trouvera par terre un cadavre tout plissé, rongé de l'intérieur, un humain qui a mangé trop de maïs transgénique, et on se dira: bizarre, bizarre, elle ne ressemble plus à un être humain… Les médecins diront: enfin! Je me réjouissais qu'elle meure: sa dissection sera pleine d'enseignements. Etc… J'ai été me coucher en rentrant, mais j'ai tellement gigoté en pleurant, que j'ai fini par tomber de mon lit. Alors je me suis calmée, et j'ai essayé de dormir pour oublier. - J'ai été voir mes parents aujourd'hui. Et aussi Carine, pour lui raconter. J'ai envoyé une annonce aux journaux: «Gravement malade, cherche solution pour guérir.» C'est ridicule, mais peut-être que quelqu'un peut faire quelque chose pour mon cas. Je n'y crois pas trop, mais je m'en serais voulu de ne pas essayer. Je suis retournée chez le Dr Orth, pour savoir s'il était sûr de son diagnostic. Il m'a dit que non, il n'y a pas de certitude. Et il a fait une comparaison avec les conflits entre les médecins et les assurances, comme quoi il y a quatre ans il était sûr que les problèmes étaient réglés, mais qu'avec les nouveaux tarifs médicaux il voyait bien qu'il avait tort. Je suis ressortie, j'ai marché, j'ai senti le soleil sur ma peau, le vent, et, encore une fois, j'ai décidé que je n'étais pas morte. Même si mes parents pleurent en s'agitant dans leur fauteuil. Sur le moment, ils m'ont énervé, et je leur ai dit que, s'ils continuaient, ils allaient tomber. J'ai attendu, mais comme rien ne se passait, je suis partie. Je n'étais pas venue les voir pour ça. - Mes annonces ont paru. J'ai reçu des téléphones, bien répartis sur la journée, et je n'ai pas vu le temps passer. Au moins cinq notaires ont appelé. Ils tenaient tous à signer mon testament. J'ai gardé les tarifs et les numéros des deux premiers. J'ai dit aux autres que je ne faisais pas la collection d'autographes. Ils ne se sont pas vexés. Ils ont lu le papier qu'ils devaient avoir devant les yeux jusqu'à la fin, mais ils n'ont pas insisté. On voit que c'est des pros. Des jeunes médecins ont aussi téléphoné, mais il a suffi que je prononce «oncologue» pour qu'ils s'excusent et raccrochent. Ça doit dépasser leurs compétences. Il y a aussi eu des retraités curieux, qui m'ont appelée par curiosité, m'ont fait des condoléances, demandé mes symptômes, et qui ont même raconté des stupidités sur le temps qui s'abat sur l'humain comme les bombes sur Sarajevo. Ils ne savent pas quoi faire de leurs journées, ils croient que m'appeler est une bonne action combinée à une émission de type "real TV". En fait, et ceci tient lieu de conclusion, Carine est la seule personne qui accepte encore de me considérer comme une personne vivante, avec qui on peut parler du temps qu'il fait, de la politique et du travail. Espérons que ça dure. - La journée a été silencieuse, contrairement à hier. Les téléphones ininterrompus me fournissaient de l'occupation, et j'oubliais presque ma maladie. Je la sens de nouveau, comme une pulsation régulière, un second coeur qui serait tombé, et qui battrait à la hauteur de l'estomac. J'essaie de penser à autre chose, mais tout me rappelle à ma maladie: les vieux qui passent dans les rues, les explosés d'une guerre quelconque à la télévision, etc. Je n'avais jamais remarqué ça avant. On se dit souvent que les gens bien portants ont de la chance, mais c'est surtout vrai maintenant. J'ai été me promener dans la forêt: ça distrait. C'est très agréable de voir les arbres, les fleurs, le calme et la tranquillité. Il y avait beaucoup de boue, et il fallait réfléchir avant de marcher. C'était bien mieux, je n'étais pas contrainte à penser. Quand je suis rentrée, je n'avais plus mal, et je n'étais plus triste. Au contraire, j'avais profité pleinement de mon temps. Alors je me suis dit que c'était normal, à cause de l'effort. Après vingt minutes, je suis retombée dans une morosité plus normale. - Le téléphone a sonné de nouveau. Les interlocuteurs ont changé: il n'y a plus ni médecins ni notaires ni retraités. Maintenant ce sont des scientologues, des voyants-télépathes-guérisseurs, des religieux, et des adeptes de sectes diverses. Ils sont pleins d'enthousiasme, ils disent: «Bonjour! Excusez-moi de vous appeler si tard, mais, vous comprenez, je ne lis jamais les journaux: je suis assez éloigné de ces choses terrestres. Aussi est-ce Dieu lui-même (la Science, Raël, etc.) qui vous a désignée. Et, si vous êtes intéressée, je peux vous conduire sur les voies qui vous mèneront à la santé.» S'ensuit une explication très claire sur la mission dont ils sont investis, et qui ne parle absolument pas d'argent. Ils sont très convaincants. Je ne suis pas assez désespérée pour tester la resplendissante puissance de Raël, mais ça peut venir. De toute façon ils viendront bientôt frapper à ma porte. - J'ai été chez Carine, mais elle tenait à me parler des tensions qu'elle avait avec son copain du moment. J'ai trouvé ça égoïste: c'est moi qui ai les problèmes, ici, pas elle. En conséquence, on s'est engueulé, et je suis partie. - Aujourd'hui, j'ai de nouveau fait une grande crise de sanglots, parce que j'ai senti une petite douleur. Enfin, pas vraiment une douleur: appelons plutôt ça une tension. J'ai bien dû passer trois quarts d'heure à pleurer et à hurler comme une folle. Et j'ai commencé à avoir mal à la gorge. Alors, je me suis dit que ça suffisait comme ça: je ne suis pas morte, je ne suis pas pressée, mieux vaut donc profiter. J'ai décidé d'user de cynisme: c'est un bon sparadrap pour le moral. Même si ça ne guérit pas, c'est mieux que rien. Je me demande ce que je ferai demain. Je suis curieuse de voir.
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