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7 mars 2005

Laitue

Je n'avais pas de souvenir de mes parents; ni de papa, ni de maman. J'étais une "self-made plante". J'ai toujours choisi moi-même la voie à suivre, l'orientation à choisir, le bon moment pour croître ou pour accumuler de l'énergie. Mes racines étaient étendues et ramifiées, pour récolter un maximum d'eau et de nutriments, et mes feuilles épaisses me fournissaient, jour après jour, toute l'énergie dont j'avais besoin. Depuis longtemps déjà, j'avais repoussé les invasions du gazon, privé le trèfle de lumière, et seule l'ombre dentelée d'une feuille de pissenlit venait parfois me déranger, les matins ensoleillés. Mais, petit-à-petit, je croissais, je la privais de son eau, et j'étouffais ses racines. Dans quelques jours, s'il ne pleut pas, elle sera morte, sans avoir trouvé la force de pointer une fleur vers le ciel. Une espèce nuisible en moins. Le soleil est levé depuis quelques temps; malheureusement, les grands ennemis le voilent, et l'air est humide. Aucune laitue n'a trouvé de moyen de lutter contre les nuages. J'ai puisé l'eau dont j'avais besoin, mais mon corps fonctionnait au ralenti. Je devais me contenter d'attendre. L'inaction est pénible, d'autant plus que je souhaitais fleurir rapidement. J'évaluais donc mes réserves et l'énergie qu'il me faudrait dépenser, quand une affreuse douleur m'a tirée de mes calculs. Pas de doute, je me faisais manger. Selon la nature des morsures, leur fréquence et leur taille, il s'agissait d'une limace. Contre ce genre d'ennemis non plus il n'y a rien à faire, si ce n'est attendre qu'elles soient repues, que le soleil les chasse et que la pluie efface leurs traces de bave, qui me privent de lumière. Décidément, la limace avait un appétit terrible, et elle semblait décidée à me manger toute entière. Je trouvais malheureux qu'elle ne s'attaque pas plutôt au pissenlit, mais elle le trouvait sans doute trop acide. Par chance, les grands ennemis avaient été chassés, et mon allié le plus précieux, le soleil, est revenu. Je me suis sentie pleine d'énergie et de potentiel, et la limace me semblait être un problème bénin. Elle me mordait d'ailleurs moins vite; j'imagine qu'elle se demandait si elle devait fuir le soleil. Elle continuait cependant à brouter ma feuille extérieure, tout en répandant sa bave, qui m'étouffait un peu. Et puis, avant même qu'elle ne commence à partir, elle s'est fait soulever, et a disparu. J'ai senti les rayons affluer à nouveau dans mes feuilles, et j'ai remercié l'esprit bienfaisant qui m'avait protégé.
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Commentaires
Z
Le style est différent mais vous avez su tout comme à la manière de Ponge, suciter de l'intérêt pour une chose a priori banal, le lecteur est presqu'instanément projetté dans l'univers de la laitue.<br /> J'ai trouvé ce texte très mignon et amusant, il donne une vision autre de notre environnement.<br /> <br /> Bravo ! ('v^)<br /> <br /> PS j'avais presqu'envie de ne plus manger de laitue.
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